L'autrice canadienne Kate Beaton a gagné le Prix Jan Michalski de littérature 2024 (avec une récompense de CHF 50’000.-) pour son ouvrage Ducks: Two Years in the Oil Sands (Drawn & Quarterly, 2022), traduit de l’anglais (Canada) en français par Alice Marchand, sous le titre Environnement toxique (Casterman, 2023).
Environnement toxique est un roman graphique à la croisée des mémoires et du reportage. Il retrace deux années de la vie de l’autrice passées dans les camps ouvriers des gisements pétroliers de l’ouest canadien. Dans l’impossibilité de trouver un emploi suffisamment rémunérateur en lien avec son domaine de formation et dans la nécessité de rembourser sa lourde dette étudiante, Kate Beaton, alors âgée de 21 ans, quitte sa région natale de la Nouvelle-Écosse pour travailler dans les exploitations de sables bitumineux de l’Alberta, à des milliers de kilomètres de chez elle.
Dans cet univers industriel qui emploie cinquante fois plus d’hommes que de femmes, les conditions de vie et de travail sont aussi délétères que l’environnement : camps spartiates, isolement social, cadences épuisantes, problèmes de santé mentale et de toxicomanie, climat hostile, pollution et cynisme systémique tendent à l’extrême les rapports humains, de classe et de genre. Le sexisme particulièrement gangrène le quotidien des quelques travailleuses minoritaires en proie à un harcèlement omniprésent, qui ouvre tragiquement la voie aux violences sexuelles.
Se saisissant de ses souvenirs une quinzaine d’années plus tard, Kate Beaton affronte de son trait épuré aux atmosphères noir et blanc les traumatismes vécus et vus au cours de ces huit saisons dans le monde des sables bitumineux sans se départir d’une profonde compassion envers la population de travailleurs et de travailleuses qui l’habite. De vignettes dialoguées en larges tableaux paysagés, elle donne corps à ce monde clos, tenu loin des yeux et des consciences, où se superposent blessures intimes et collectives infligées non seulement aux employé·es mais également à la terre et aux communautés autochtones. D’un regard singulier
qui jamais ne juge ni ne condamne, elle rend compte des réalités matérielles d’un capitalisme effréné qui exploite, aliène, marchandise, déshumanise. Sans inciter ni imposer, sa force de témoin consiste à laisser opérer, entre les lignes du récit, un dessillement progressif.
Le jury, composée par Vera Michalski-Hoffmann, Jonathan Coe, Kapka Kassabova, Andrea Marcolongo, Valérie Mréjen, Gonçalo M. Tavares et Sjón (Sigurjón Birgir Sigurðsson), a salué « un roman graphique transperçant et audacieux qui éclaire un pan opaque des conditions de travail dans l’industrie pétrolière à travers le regard d’une jeune diplômée projetée par nécessité économique dans un univers toxique. Cette autobiographie visuelle, aux lignes claires et aux dialogues d’une grande puissance narrative, réussit à embrasser les questions les plus sensibles et douloureuses de notre époque – super-capitalisme, environnement, paupérisation, sexisme et harcèlement – sans que l’expérience traumatique n’entame sa profonde empathie. Un chef-d’œuvre bouleversant par son courage. »
Biographie
Kate Beaton, née en 1983 à Mabou, un village sur l’île de Cap-Breton au Canada, est diplômée en histoire et en anthropologie de la Mount Allison University.
Parallèlement aux emplois qu’elle occupe dans les gisements de pétrole de l’ouest canadien après ses études, elle pratique le dessin et commence à diffuser son travail sur internet en 2007. Ses courts strips en noir et blanc, se saisissant avec un humour décapant de sujets historiques et de figures illustres, connaissent un succès croissant et paraissent régulièrement dans le New Yorker, Harper ou le National Post.
En 2011, les éditions Drawn & Quarterly publient un recueil des dessins issus de son blog, Hark! A Vagrant, traduit en français sous le titre Diantre ! Un manant (Cambourakis, 2018), puis un second en 2015, Step Aside, Pops. Ces séries lui valent notamment les Prix Harvey, Eisner, Ignatz et Doug Wright. En 2022, sort son premier roman graphique Ducks: Two Years in the Oil Sands (Drawn & Quarterly), traduit l’année suivante sous le titre Environnement toxique (Casterman).